Concours d’éloquence – Finale

« L’amour c’est toujours emporter qulequ’un sur un cheval »

(Positive)

 

Amour, amour, je t’aime tant, je t’aime tant. Oui, je viens de citer Peau d’Âne, oui. Alors effectivement avec l’âne, je suis dans le thème.

 

Encore un sujet sur l’amour. La dernière fois, c'était dans le pré et là, c'est toujours emporter quelqu’un sur un cheval. Alors je ne vois pas trop la différence au niveau littéral, mais bon, on va faire semblant que y’en a une.

Messieurs et mesdames, je suis ici aujourd’hui pour vous convaincre sur le fait que l’amour, c'est toujours emporter quelqu’un sur un cheval. Alors je crois qu’on va tous se mettre d’accord sur une chose, cette citation du roman Le chant du monde de Jean Giono est… particulière. Non mais parce que dès que y’a amour et cheval dans la même phrase, y’a déjà un problème.  Alors non je ne vais pas refaire mon discours sur les champs et leur manque de romantisme. Non, Messieurs et mesdames, je suis ici aujourd’hui pour vous dire que mon adversaire ne sera pas capable de résoudre le problème posé, puisqu’il est monté sur un chameau, celui qui a deux bosses, parce que CHA-MEAU, et en plus il n’y connait rien aux chevaux.

 

Trêves de plaisanterie, lorsque l’on vous parle d’amour, la première chose à laquelle vous pensez, c’est à vos maris, vos femmes, vos enfants, votre mère, votre père, à votre sœur, votre frère et à tous ceux qui vous sont chers. Mais l’amour, c'est aussi l’amitié, la famille que vous vous êtes choisis, celle qui ne vous est pas tombée dessus comme le fer du cheval.

Je suis ici aujourd’hui pour vous dire que pour tester votre amour, il faut partir en voyage, il faut emporter quelqu’un sur une 2CV.

Oui je parle bien de la Citroën, celle qui fait survivre James Bond et qui était « plus qu’une voiture, un art de vivre ». Ma mère se souvient encore des voyages pour descendre du nord jusqu’au sud en 2CV, où à l’époque il n’y avait pas de ceinture ni de clim. C’était là aussi où il fallait faire un choix dans les affaires à emporter parce que tu ne pouvais pas emmener 3000 valises, sinon elles seraient venues t’écraser sur le siège de derrière. C’est là aussi, maman, où tu découvrais ton père sous pression dans les embouteillages, sûrement pas aidé par ses 800 cartes des routes de France, qui sont d’ailleurs encore dans sa voiture aujourd’hui. Mais parce qu’au fond, voir tes parents galérer en voyage, oui ça leur donne un coup de stress, mais ça te fait rire et t’en garde des souvenirs, mais surtout tu te dis que tu les aimes, et que l’amour, le vrai, c'est emmener quelqu’un en 2CV.

 

Alors oui, pour voir le vrai visage d'une personne, il suffit d'attendre. Le temps consommera le masque qu'elle porte. C’est ainsi que lorsque vous idéalisiez votre ami, où vous ne voyiez que ses bons côtés ; en voyageant, la magie s’estompe. Tu sais quand un des deux doit faire la vaisselle et puis l’autre dit « j’ai trop mal aux mains à cause de Canoë Polo », alors que tu ne savais même pas que c’était un sport avant qu’il te sorte cette excuse. Et puis quand tu lui dis de ranger les assiettes et que littéralement il range que les assiettes alors qu’il restait des casseroles, des verres et des couverts. Alors oui, c'est à ce moment-là que tu te rends compte que les prises d’initiatives, c'est particulièrement féminin comme trait de caractère, mais bon, on ne va pas développer la socialisation genrée parce que mon adversaire a la blague sexiste très facile.

 

Mais, voyager entre amis, c’est retourner avec un bagage de souvenirs aussi précieux qu’un diamant. Ce sont les fous rires, les aventures, le poulet pourri, la musique, les paysages, la bouffe, les conversations philosophiques et les photos. Parce que c’est là aussi où tu trouveras oui, certainement, les défauts cachés de la personne, mais c’est là où ressortent aussi ses qualités. T’as plus le stress des cours, de la ville, de la famille ; on est juste entre amis à rien foutre de nos journées, « il dolce far niente » comme diraient les Italiens, à être heureux dû au simple fait d’être en vacances. Donc, si les personnes avec qui vous partez en vacances, passent le test, alors c’est de l’Amitié avec un grand A. Donc oui, l’amour, c’est toujours emporter quelqu’un en voyage.

 

Alors, je ne sais pas si mon argument sur les 2CV et le voyage vous aura convaincu, mais ne vous inquiétez pas, j’ai un argumentaire en réserve. Parce que quand je vous dis cheval et amour, ok, on est d’accord en partie sur le fait que ce soit une association de mots particulière, mais je sais pertinemment que vous avez pensé au prince charmant.

 

Au lieu de déconstruire un discours sexiste et d’en construire un féministe, comme vous vous le seriez attendu, je vais plutôt nous faire questionner sur le cheval. Tiens, mais pourquoi le prince charmant arrive sur un cheval ? Pourquoi pas un autre animal ? Enfin, je veux dire, dans Cendrillon, les souris sont transformées en chevaux, et dans Blanche Neige, le prince arrive lui aussi sur un cheval, blanc d’ailleurs. Mais c’est parce que dans notre imaginaire, le cheval, c'est un animal, beau, élégant, puissant. Quand tu es à cheval, tu enchaines les sensations, tu as les cheveux au vent comme dans les pubs Dior, tu as l’impression que le monde t’appartient. Et puis en vrai est-ce que t’aurais imaginé Spirit être un animal autre qu’un cheval, genre un éléphant ou un suricate. Non je ne pense pas. Donc, oui, emporter quelqu’un sur un cheval, c'est romantique et donc oui, c’est bien de l’amour.

 

On ne va pas se mentir, monter sur un cheval, finalement, c’est stylé. Non mais parce qu’à ce moment-là, gardez le vôtre prince charmant, je veux le cheval. J’y monterai toute seule sur le cheval et j’irai faire des balades, et je découvrirai des paysages, j’irai cueillir des pâquerettes pour me faire des couronnes. Je deviendrai reine, j’agirai pour l’amour de moi, l’amour-propre comme disait Rousseau. Si on prône toujours l’amour de soi, c’est bien pour une raison non ? On dit toujours que pour aimer quelqu’un il faut d’abord aimer soi-même. Et si ce « quelqu’un » dans la citation de Jean Giono ça pouvait être soit. Regardez les compétitions de chevaux, les cavaliers sont tous seuls, ils n’ont besoin que d’eux-mêmes, leur amour pour leur cheval et leur cheval. Bah oui parce qu’au final l’amour, c'est toujours emporter soi-même sur un cheval.

 

Vous voyez, quand Jane Eyre rencontre pour la première fois Mr Rochester. Il est tombé de son cheval et Jane va l’aider, il ne lui dit pas dès le début qu’en réalité il est le maître du château dans lequel elle est gouvernante. Cette première scène nous donne l'avant-goût de leur amour : une histoire compliquée, pleine de rebondissements, trop de rebondissements. Mais c’est surtout une histoire d’amour non-conventionnelle, une servante avec un riche propriétaire, une femme de l’ère victorienne qui refuse d’être vue comme inférieure, qui se rebelle en s’opposant au mariage avec un homme déjà marié. Parce que cette première scène où Rochester tombe du cheval et se fait relever par Jane, montre qu’un pied d’égalité s’installe dès le début entre les deux. Rochester remonte sur son cheval en s’appuyant sur l’épaule de Jane, ce qui représente métaphoriquement le poids de l’amour sur les épaules de Jane. Donc oui, l’amour, c’est relever quelqu’un d’une chute de cheval.

 

Après vous avoir convaincu sur le fait que de monter sur un cheval seul, c'est stylé et qu'en plus c’est romantique, je vais vous parler de liberté, vous savez la première devise de la République française. 

Dans notre imaginaire collectif, le cheval est un animal libre, le cheval, c'est la liberté. Quand tu es sur un cheval, tu prends de la vitesse, tu as les cheveux au vent, tu gambades dans la nature, tu es libre. 

 

Mais est-ce qu’au final le cheval ça ne serait pas la meilleure métaphore pour l’amour ? Le pas, le trot, le galop: toutes des différentes allures. L’amour ça ne va pas qu’à une seule et unique vitesse. D’un côté, on nous dit que l’amour, c'est la patience, et puis de l’autre, on est dans une société obsédée par le couple et par l’amour, par la vitesse, par swiper vers la droite ou la gauche, par speed dater. On n’a plus le temps. Être en couple devient un accessoire. L’amour se transforme en une expérience scientifique que l’on scrute, dissèque. On cherche des formules mathématiques, des solutions qui deviennent parfois ridicules. On se sent bien seul, puis il nous manque quelque chose, quelqu’un, un amoureux, une amoureuse, mais pas trop vite.

 

Il faut doser l’amour, comme dans une voiture. Appuyer sur l’accélérateur, puis sur le frein. À vouloir aller trop vite, on risque un accident, d’aller contre un mur, de ne pas aller loin finalement. En revanche, à vouloir aller trop lentement, on risque de s’endormir au volant. Traverser des zones de turbulence, c’est ça un couple qui change, qui se cherche, qui se perd. Mais on le vit mal, surtout dans notre société, obsédée par la performance et qui nous demande de réussir à tout, autant sur le plan professionnel que personnel. Mais emmener quelqu’un sur un cheval, ça nous limiterait du coup ?

Alors on peut se demander si on peut aimer sans pour autant renoncer à sa liberté ? En amour, on ne cède pas sa liberté. Selon Gibran, “l'amour est la seule liberté qui soit au monde, car il élève si haut l'esprit que les hommes et les phénomènes de la nature ne peuvent altérer son cours.”. Donc pour être libre il faut aimer, il faut sortir de son enclos et aller de l’avant, il faut se faire emporter par ce cheval nommé Liberté.

 

Sur mes cahiers d’écolier

Sur mon pupitre et les arbres

Sur le sable sur la neige

J’écris ton nom

 

Sur toutes les pages lues

Sur toutes les pages blanches

Pierre sang papier ou cendre

J’écris ton nom

 

Sur tous mes chiffons d’azur

Sur l’étang soleil moisi

Sur le lac lune vivante

J’écris ton nom

 

Et par le pouvoir d’un mot

Je recommence ma vie

Je suis né pour te connaître

Pour te nommer

 

Liberté.

Vous aurez reconnu Paul Eluard, je me sentais obligée de citer Liberté, c’est LA poésie, avec Automne Malade de Verlaine, qui m’est restée imprégnée depuis le primaire. C’est LA poésie sur la liberté et c’est donc ici la poésie de l’amour. L’amour de la liberté, c’est de pouvoir être amené sur ce chemin que l’on recherche constamment. Parce qu’emporter quelqu’un sur un cheval, c’est aussi être à deux, avancer à deux, tomber à deux. C’est faire des compromis, c’est faire un chemin ensemble, c’est faire confiance à celui qui guide. C’est prendre le bon puis le mauvais chemin, c’est tomber puis se relever.

Mais parce que le cheval, au final, oui c’est la 2CV, c’est le romantisme, c’est aussi l’indépendance et la liberté. Et de ce fait, l’amour, c’est ce que tu veux. Il suffit de regarder combien de métaphores il existe pour le cheval, tu as le choix de définir ton amour, et le choix d’emporter qui tu veux et qui tu ne veux pas à l’aventure.