Concours d’éloquence – Finale

« On ne peut rien dire en criant »

(Négative)

 

Mesdames messieurs Bonjour

Jury, public, professeurs…

Ariane nous a donné à écouter un discours bien pensé, bien "dit,", je le concède. Un discours aux mots bien choisis, réfléchi, construit, rimé et suffisamment long et doux pour nous avoir gentiment bercé en cette fin de matinée. Allez, soyons honnêtes, qui ne rêve pas dans cette salle que quelqu’un entre ici et nous crie "à table !" ... 

Ce cri signifiant notre libération et la perspective de nous restaurer d'une magnifique assiette de raviolis au ragù qui serait pour nous tous le seul vrai message porteur de sens de cette matinée. Un cri qui remettrait en question tout l'argumentaire de ma contradictrice et cette phrase de jean Giono, que je me dois donc de contredire à mon tour : oui mesdames et messieurs "le cri est signifiant" ... "le cri permet de dire"...

Crier.

Commençons par les termes. “Dire”, exprime le fait d’émettre un son par la parole. Tandis que “Crier” signifie parler fort, élever la voix.

En ce sens, crier est une version évoluée de dire, c’est une histoire de décibels, alors pourquoi vouloir nous donner l’impression que crier est mal ?

 

Au départ on pense que crier renvoie au côté sauvage de l’homme.

Alors faisons un bond dans le passé et allons voir l’Homme avant même qu’il ne soit Homme. Retour à l’État animal. L’état de base, l’Homme primitif. On en revient à sa nature même, tout bruit sortant de sa bouche, n’est que cri. Pas de mots, pas de lettres, pas de verbes. Le cri de l’expression pure et simple, Rousseau disait que l’homme est bon par nature, donc à l’état naturel, le cri étant instinctif, il est forcément bon !

Je dirai donc que le cri est humain, normal et parfois même espéré !

Pensez à ce moment intense, lorsque le temps semble s’arrêter avant que le nouveau-né ne pousse son premier cri, ce cri qui dit qu’il est vivant !!

 

Et ce bébé-là.. il crie pour s’exprimer, lorsqu’il a faim, qu’il veut dormir, changer sa couche. Il n’a pas encore la parole mais il se fait comprendre. Heureusement que le cri existe au final quand on n’a pas les mots. 

 

Le cri est humain, il fait partie de la nature de l’homme, de son essence. 

Mais l’homme vit en société et il est convenable de s’exprimer en parlant pour se différencier de l’animal. L’homme est donc sociable, et civilisé (en général) il y a des limites, nous ne sommes justement plus des animaux. 

Mais alors pourquoi continue-t-il à crier ?

Pourquoi aurait-il besoin de crier pour se faire entendre puisqu’il sait parler ? 

C’est très simple de répondre à cette question il n’y a qu’à vous regarder, je vous parle depuis tout à l’heure, je vous observe, certains regardent par la fenêtre, d’autres leur montre, certains discutent, donc j’ai rajouté des gestes à la parole pour attirer leur attention, mais ça continue, donc ma seule option va être de monter le ton ! 

 

Ce que Jean Giono dit c’est qu’on ne peut RIEN dire en criant. Pourtant, crier permet de dire des choses.

J’écoutais un podcast l’autre jour, c’était un homme algérien qui racontait la guerre d’Algérie et qui parlait de la souffrance de ce passé. Sa fille lui a demandé pourquoi il était resté silencieux tout ce temps, et il lui a répondu “pour parler, il faut qu’il y ait des oreilles, j’ai essayé, mais la parole a ses limites”. Cet homme a reconnu que s’il avait crié avant, peut-être qu’il aurait pu être écouté. Au final, il a fallu que le peuple algérien crie pour que le monde entende sa douleur. 

 

Prenons maintenant un autre exemple qui prouve que parfois crier n’est pas juste une alternative, mais une nécessité pour être considéré en toute situation. Imaginez-vous devoir constamment parler sans pouvoir hausser le ton, toujours de façon neutre et calme. ù

“Attention les enfants, dépêchez-vous de traverser, il y a un camion qui se dirige droit sur vous. Vite, allez, courrez… Aie”

Je ne pense pas que l’impact soit tout à fait le même.

 

Crier est donc un moyen d’expression efficace. Il permet notamment de transmettre des convictions, des idées. Dans un monde uniforme qui se range si facilement derrière d’autres voix, c’est souvent le dernier qui a parlé qui a raison.

Le cri est un doigt levé avec énergie pour sortir de la masse, exister, se révolter. 

Regardez les manifestations, Blacks lives matter, le nom de Georges Floyd était crié, même hurlé dans les rues du monde entier, et c’est par ce cri qu’après des années d’oppression, la communauté noire peut encore aujourd’hui dénoncer sa discrimination et le racisme ! 

Au sein de sociétés où persistent les injustices, le seul biais pour faire entendre sa voix est de l’élever, parler plus fort que les autres, plus fort de ceux qui gouvernent pour espérer être écouté. On peut censurer la presse, on peut brûler les livres, emprisonner les opposants, mais il est plus difficile d’empêcher un peuple de crier.

 

Alors certains diront peut-être que le cri sème le désordre et empêche la discussion, mais moi,à l’inverse, je dis que quand la parole divise, le cri rassemble. Dans un chaos total, peut-on simplement envisager de discuter calmement ? En plein milieu d’une dispute, une petite voix suffit-elle à apaiser le conflit ? L’idée n’est pas de terroriser, car parler normalement peut aussi y contribuer, mais plutôt d’arranger. 

Crier plus fort pour se faire entendre c’est exister dans un dialogue de sourds. 

 

Pour conclure, je pense que faire taire ses cris pour n'être que sagesse, mesure et apparence est une grave erreur. Il faut rester soi-même, entier et authentique.

Je veux pouvoir crier ma joie, ma peine, mon amour ou ma haine car ça me rend plus fort, vivant et libre.

Il faut du courage pour oser crier et je tenais à saluer le courage de tous ces gens qui l’ont fait, et grâce à qui on a pu acquérir le droit de vote, les congés payés, le droit à l’avortement, le droit à l’éducation…pour ne citer qu’eux

Martin Luther King, Louise Michel, Olympe de Gouges, Angela Davis, Nelson Mandela…

Ces hommes et ces femmes qui ont su hausser le ton face aux diktats et à l’oppression.

 

J'aurais une dernière citation de Marguerite Duras qui disait qu’ ”écrire c’est se taire, c’est hurler sans bruit”, donc écrire est un cri et d’une certaine manière, Giono criait aussi.