Paris Vie !

Une initiative citoyenne au lycée français de Turin. Fortement choqués par les attentats du 13 novembre à Paris, où ils devaient se rendre quelques jours après pour participer au salon européen de l’orientation, les élèves de Terminale du lycée Jean Giono de Turin ont tenu à rendre hommage aux victimes de cette journée sanglante. Retour en mots et en images sur une action émouvante, intitulée Paris Vie ! qui a mobilisé la plus grande partie des élèves et des adultes de l’établissement.

Vendredi 4 décembre, aux alentours de midi, trois cents élèves du Lycée Jean Giono descendent dans la cour de récréation. Les plus jeunes d’entre eux ont huit ans, les plus âgés dix de plus. Tous les adultes sortent à leur tour. Plusieurs élèves des écoles de Turin avoisinantes et partenaires sonnent à la porte et entrent. Réunis en cercle autour des trois grands arbres drapés pour l’occasion de bleu, de blanc et de rouge, nous nous donnons la main. Au pied des arbres, quelques fleurs. Autour des fleurs, des bougies. A terre, une longue banderole blanche sur laquelle les mots liberté, égalité, fraternité peints en noirs jettent aux yeux de tous leurs grandes lettres capitales. En lettres plus menues, une phrase : nous n’avons pas de mots, les crimes absurdes arrachent la parole. En rouge, la tour Eiffel cerclée rappelle à tous le symbole de la paix.

Sans que personne ne le demande, le silence se fait.

Nous devions aller à Paris, Paris est venu à nous. Rue Bichat. Le Bataclan. Rue de la Fontaine-au-Roi. Le Carillon. Rue de Charonne. Le petit Cambodge. Le stade de France. La Belle équipe. Une triste époque. Quand les mots ne suffisent plus, Il ne reste que le chant. Car… « La musique chasse la haine chez ceux qui sont sans amour. Elle donne la paix à ceux qui sont sans repos. Elle console ceux qui pleurent ».

Le silence recouvre très vite les mots de Pablo Casals.

Trois cents voix cristallines entonnent l’hymne national : « Allons enfants de la Patrie, le jour de gloire est arrivé ! ». Un couplet, deux refrains et le silence s’installe à nouveau. Une lettre est lue, elle s’adresse à Paris, elle est écrite pour les parisiens. Une fois l’enveloppe fermée et cachetée, un joli timbre est apposé, dessiné par les élèves : le tronc d’un arbre pousse ses branches sur un crayon tricolore, symbole de notre école. Une citation, choisie par les élèves, court en lettres cursives le long de l’écorce : « Quand les mystères sont très malins, ils se cachent dans la lumière ». Les mots sont ceux de Jean Giono, l’homme qui a donné son nom à notre école. La lettre cachetée s’envole déjà vers Paris et trouve sa place dès le lendemain au pied de Marianne, Place de la République. « Nothing to kill or die for, and no religion too, imagine all the people, living life in peace ». Les paroles de John Lennon se font légères dans la gorge des enfants. Elles virevoltent un moment, s’envolent elles aussi et laissent de nouveau place au silence. Des stylos bleus et des stylos rouges sont distribués. Petits et grands s’approchent, s’accroupissent et écrivent leur prénom entre les grandes lettres noires de la banderole.

Cette action, intitulée « Paris Vie ! » était une initiative des élèves de terminale du Lycée Jean Giono de Turin. Ils devaient se rendre, au lendemain des attentats, au salon européen de l’éducation à Paris. Ce voyage devait être un moment important dans la construction de leur avenir, mais, les images d’un Paris meurtri sont venues changer les priorités. Il ne s’agissait plus de penser à eux, il fallait penser aux autres. Penser à ceux qui étaient partis trop tôt. Penser à ceux qui étaient restés sans eux. Et les trois cents têtes blondes réunies autour des trois grands arbres de la cour de récréation étaient un bel hommage rendu aux victimes, un peu de réconfort apporté à leurs proches, un message de paix adressé à nous-même.

Sur les pas de Jean Giono…

En parlant de l’homme qui plantait des arbres, Jean Giono écrivait en 1953 : « Quand on se souvenait que tout était sorti des mains et de l’âme de cet homme, on comprenait que les hommes pourraient être aussi efficaces que Dieu dans d’autres domaines que la destruction ». Dans le livre la rondeur des jours, Jean Giono écrivait dix ans auparavant : « La vie c’est de l’eau. Si vous mollissez le creux de la main, vous la gardez. Si vous serrez les poings, vous la perdez ».